Journée M21 au Sénat : Compte rendu sur la médiation et ses enjeux sociétaux.

La médiation comme levier de transformation sociétale
Grande et belle salle pleine au Sénat. L’introduction donne le ton. La médiation comme levier de transformation sociétale. Bertrand Delcourt expose les risques majeurs de notre société actuelle, au-delà de ses turbulences quotidiennes. Deux : Le repli sur soi, et la polarisation sur des positions tranchées, excluant l’autre. La conséquence logique, à l’œuvre, est la violence. La médiation, par sa posture et ses méthodes, écoute l’Autre, élargit les possibles. Ensuite 2 tables rondes sont consacrées à la médiation au travail et dans le monde de la santé. Je les passe (même celle consacrée à la Santé, pourtant consacrée au cœur de mon engagement personnel !), pour continuer sur la veine essentielle de la journée.
François Jullien: La médiation et l'importance de « l'écoute oblique »
En fin de matinée, un philosophe brillant et subtil François Jullien, explique que la cohérence et le consensus, c’est bien, mais « si tout colle, rien de bouge », on arrive à du figé, logiquement fragile. Il plaide pour une vision plus habituelle dans la pensée Chinoise, de rouvrir du possible par l’écoute. Mais le médiateur ne pratique pas une écoute frontale, au risque alors d’être pris dans la logique un qui gagne un qui perd, ou même un pseudo gagnant/gagnant figé, mais en réalité une « écoute oblique ». Cette façon d’écouter, d’amorcer une médiation, « pas débuter, amorcer, avec la subtilité, la petite ruse de ce début, permet un petit décalage, un fonctionnement différent de l’échange. Et en fait, l’essentiel se joue dans ce petit décalage, le « entre », le « jeu » permis par cette modalité, « remettant de la vie, de la créativité entre les protagonistes ». Cela « dé-coince » et la réalité nouvelle devient « com-possible », crée ensemble. « Cela n’est pas du juste milieu, c’est de l’entre». Il ne s’agit pas alors de compromis, mais plutôt, « d’avoir remis la situation au travail », via cet « entre », cette modalité même.
Michèle Guillaume-Hofnung: Une médiation pour recréer du lien social
Cet exposé fera une très belle transition avec l’exposé remarquable ( petit pléonasme) de Michèle Hofnung au retour du déjeuner. « Je vais tenter de limiter la torpeur post prandiale » dira t-elle parmi de nombreux traits d’humour, appréciés de ses fans, genre « J’ai le droit de faire des blagues sur les blondes, j’en suis une », pour arriver tout de suite à l’essentiel. « Il y a deux sortes de médiation. L’une plutôt Anglo saxonne se consacre à une modalité de résolution alternative des conflits. C’est respectable. Mais Michèle, dans le sillage pionnier de Jean François Six, (entre autres) se situe dans un autre registre de médiation, qu’elle nomme « indigène ». L’essentiel, dit elle avec force, se situe dans l’idée d’établir ou rétablir du lien social. « Il y a 40 ans, nous avions vu les risques de délitement sociétal, et de montée de la violence. Nous y sommes, « il y a le feu », et il y a eu 40 ans de perdus. Le moment de la médiation va « peut-être » advenir, car cela n’est pas gagné. Les résistances restent majeures. L’essentiel de la médiation, cela n’est pas le conflit, les conflits dans leur diversité, l’essentiel, l’unicité de la médiation qu’elle appelle de ses vœux, « c’est une processus de communication éthique », permettant aux voies minoritaires ou marginalisées de s’exprimer et d’avoir une chance d’être entendues. Bel écho à « l’entre » et à « la vie qui revient par les interstices » du philosophe.
La médiation environnementale: Des initiatives locales inspirantes
La table ronde suivante consacrée à l’environnement, avec de nombreux éclairages sur les actions locales. Je choisis arbitrairement deux échos qui m’ont frappé. Une association d’Angoulême fait un travail de tissage auprès des plus fragiles et vulnérables, avec de nombreux outils, dont « une petite poneytte » avec laquelle ils font des maraudes. « L’animal permet de renouer le contact avec des SDF qui refusaient jusque-là tout contact avec nous ». Magnifique exemple de la communication, ses pièges et ses difficultés, et la capacité de l’animal à faire vivre « l’entre », encore une fois. (Pour moi, l’Art a les mêmes vertus et possibilités, mais cela ne sera pas dit au cours de la journée). Et le témoignage d’un commissaire de police, en uniforme, qui a découvert la médiation et vante, « après 4 ans d’expérience devenue désormais pérenne », le rôle puissant et efficace pour les plaintes du quotidien, conflits de voisinage, « où le policier écoute, enregistre la déclaration ou la plainte, mais « sans aucune suite derrière, faute de moyens suffisants ou parce que « qui a raison, qui a tort » dans la plainte n’est pas accessible ». La médiation permet une écoute, déjà, de toutes ces déclarations. Il évalue ensuite à « au moins 60% » les issues positives à ces rencontres entre voisins en conflits, permis par l’écoute favorisée par un tiers, le médiation. « J’avais hésité à venir, dira le commissaire, votre journée, cela n’était pas mon univers et pour moi. Mais je ne regrette pas : En vous écoutant, j’ai vu les proximités entre « vos » problèmes, et ceux auquel je suis confronté au quotidien ».
Les perspectives du Conseil National de la Médiation (CNM)
La fin de la journée et sa conclusion sont assurées par trois personnes du conseil national de la médiation, dont sa présidente, Frédérique Agostini, qui font un rapide panorama de leur travail à mi parcours ( 18mois sur un mandat de 3 ans), en reconnaissant qu’elles sont très centrées sur la « justice », par tropisme personnel de la présidente et tutelle par le ministère du même nom. Mais la diversité des membres du CNM et la volonté d’écoute, permet d’élargir la focale, pour se rattacher, qui sait, à « l’unicité de la médiation » dont a parlé Michèle Guillaume Hofnung.
Compte rendu à chaud, partiel et partial par Denis Mechali, médiateur en milieu hospitalier.