Présente à Angers le 13 mars 2025, Marie-Hélène Bergoni a assisté au 3ième congrès des médiations, où plus de 600 professionnels issus de 17 pays se sont réunis pour penser une médiation plus accessible et concrète.
Elle revient ici sur une plénière particulièrement inspirante. Une réflexion nourrie par les regards croisés d’experts européens autour des conditions de confiance.
Participants à la plénière
- Christiane Feral-Schuhl, modératrice / Avocate au Barreau de Paris et médiatrice, co-fondatrice du cabinet FERAL, Seconde vice-présidente du Conseil National de la Médiation (CNM) - France
- Renaud Lebreton De Vannoise, grand témoin / Premier Président de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence et Ancien Ambassadeur de l’amiable - France
- Nadine Fricero, intervenante / Professeur faculté de droits, université PACA, membre du CNM et doyenne du pôle justice civile à l’école nationale de le magistrature - France
- Yvan Verougstraete, intervenant / Président honoraire de la Cour de cassation de Belgique, ancien président de la cour de justice de Benelux - Belgique
- Nicolas Fournier, intervenant / Vice-Président du Civil Médiation Council (CMC) - Royaume-Uni
Quelle raison principale a-t-on de choisir la médiation ?
Pour Nadine Fricero, les raisons sont plurielles. La plus importante étant que l’on puisse trouver une solution à un différend adaptée à ses besoins, inclusive avec son partenaire et qui nous rendent responsables.
Yvan Verougstraete, rajoute une méfiance à l’égard du pouvoir judiciaire, voire une certaine allergie et le besoin de maitriser le sort de son procès. D’autre part, le coût moindre des règlements à l’amiable par rapport au coût du procès peut être aussi un déterminant.
Nicolas Fournier relate qu’au Royaume-Uni la médiation est complexe. Le juge doit trancher en droit alors que la médiation multipartite amène à des solutions « sophistiquées » trouvées avec la collaboration des parties.
Christiane Feral-Schuhl : quel élément dominant peut motiver le justiciable à choisir la médiation ?
Selon Nadine Fricero, les incitations législatives, comme la médiation judiciaire, peuvent amener le justiciable à aller vers la médiation grâce à une information en vue d’une tentative préalable.
- En Belgique, la médiation pré judiciaire est très fréquente et le juge peut « ordonner » une comparution de médiation. Cependant, la médiation étant un processus de libre consentement, le débat s’ouvre sur la question de pouvoir « ordonner » la médiation ?
- Au Royaume-Uni également, le débat sur le caractère ordonnable de la médiation est ouvert dans le pays. Un premier arrêt de la Cour d’appel a tranché en faveur du non, puis un second arrêt est revenu sur cette décision : il y a maintenant obligation de travailler ensemble à trouver une solution au différend mais sans en « forcer » l’issue, cela avec une incitation financière. Aussi la liberté est respectée.
Christiane Feral-Schuhl : qu’en est-il de la confidentialité?
Pour Yvan Verougstraete, la confidentialité est un argument important et qualitatif en Belgique. Le cadre légal est très strict et si la confidentialité n’est pas respectée, il peut y avoir des sanctions pénales.
Au Royaume-Uni, le cadre n’est pas aussi strict qu’en Belgique ou en France.
Christiane Feral-Schuhl : quelles sont les qualités que doit posséder un médiateur ?
Pour Nadine Fricero, le médiateur doit être formé afin de pouvoir créer l’espace de liberté de la parole, sécuriser les conditions de la confidentialité et donner confiance grâce à ses compétences acquises.
- En Belgique, le médiateur agréé doit avoir les qualités minimales requises, sous peine de sanction (le médiateur est alors enlevé de la liste des médiateurs agréés).
- Au Royaume-Uni, cette profession libérale est régulée par la définition des caractéristiques des organismes de formation, par la formation des médiateurs agréés et par la pratique régulière de ceux-ci. Les médiés peuvent porter plainte en cas de médiation insatisfaisante.
Christiane Feral-Schuhl : quand est-il de la spécialisation du médiateur ?
- Au Royaume-Uni, la liste des médiateurs du ministère de la justice ne mentionne pas de spécialisation.
- En France, une seule spécialisation existe, celle des médiateurs familiaux.
Au vu de la complexité des conflits, une question se pose :
Faut-il que le médiateur ait une spécialisation ? ou faut-il faire appel à un expert ?
- En Belgique, les médiateurs ont 180 h de formation avec la moitié du temps consacré au droit commun et l’autre moitié à une spécialisation (familiale ou autre).
Il est souvent choisi de faire de la co médiation avec un médiateur et un expert du sujet concerné par le conflit. Comme dans le cas d’un litige sur un brevet chimique, un expert peut signer la convention de médiation et sera alors tenu à la confidentialité - Le Royaume-Uni se pose également la question de la confidentialité de l’expert, de son choix, de son impartialité. Dans le cas d’une médiation avec un expert, la solution au conflit trouvée par las médiés n’est pas publiée et les rapports de l’expert restent confidentiels.
Dans tous les cas, la question du choix d’un expert et de ses obligations doit être évoquée lors de la signature de la convention de médiation : c’est de la responsabilité du médiateur.
Christiane Feral-Schuhl : pour sensibiliser à la médiation, faut-il élargir la formation aux magistrats et aux avocats ?
Pour la Belgique, il faut informer les avocats des possibilités offertes pour régler des différends, avocats qui pourront ensuite informer les citoyens, et les magistrats pour renvoyer les parties vers la bonne direction (médiation ou conciliation ou …).
En anglais, une expression signifie « changer de cadre », c’est-à-dire, « changer de perspective ». Le cadre de la médiation doit être solide, assurer la formation du médiateur et la confidentialité des échanges. La magie de la médiation tient à ce cadre et c’est le médiateur qui en est le créateur.
En Belgique, dans les cursus universitaires, la médiation est un « crédit » obligatoire.
Christiane Feral-Schuhl : quelles autres mesures pourrait-on appliquer pour faire avancer les choses ? des réunions d’information par exemple ?
- En Belgique, les réunions d’informations se sont développées depuis que la médiation fait partie du paysage. Une prime à la réussite est interdite.
- Au Royaume-Uni, la question éthique des honoraires en fonction des résultats n’est pas encouragée par le conseil de la médiation. Les frais doivent cependant être répartis de façon équilibrée.
Christiane Feral-Schuhl : le coût de la médiation est-il un frein et la médiation représente-t-elle une justice privée ?
- En Belgique, à l’origine, les médiateurs étaient plus nombreux que les offres de médiation. Les tarifs des médiateurs oscillent entre 50 et 100 euros de l’heure, ce qui est modeste. Cependant le coût est plus élevé que celui de la conciliation gratuite. La procédure judiciaire a un coût plus important (avocat, taxes).
- En France, l’aide juridictionnelle peut s’appliquer.
- Au Royaume-Uni, il existe peu de tiers financeur de la médiation. La médiation de voisinage est en générale gratuite pour les médiés. Dans le domaine commercial, la rémunération dépend de l’enjeu du litige.
Christiane Feral-Schuhl : médiation et intelligence artificielle (IA), est-ce possible ?
Pour Nadine Fricero, l’IA pourra être un outil à utiliser en médiation.
Mais une problématique va se poser :
L’algorithme va-t-il remplacer le médiateur ?
Déjà, la médiation de la consommation se fait en ligne.
Une directive européenne prévoit la création d’une plateforme en ligne et dans un de ses article, elle stipule que « les personnes auront droit à un humain » (moléculaire soit en chair et en os !).
Christiane Feral-Schuhl : pour résumer, quels éléments clés prioriser pour répondre à la question de départ : « susciter la confiance pour promouvoir la médiation ?
Pour Nicolas Fournier, l’élément prioritaire est le tiers de confiance qu’est le médiateur. Il établit une passerelle entre les médiés permettant le dialogue entre eux. Cette confiance doit être de qualité et se mériter, le médiateur devant apprendre de ses propres erreurs. Ainsi le médiateur fait progresser la médiation.
Pour Nadine Fricero, une sécurité juridique doit encadrer le médiateur possédant un diplôme. Une autorité de contrôle permettrait d’objectiver les compétences des médiateurs.
Pour Yvan Verougstraete, la médiation à distance est une évolution dangereuse au sens où l’aspect humain disparait. Le médiateur doit être présent, à l’écoute et sache de quoi il parle.
Synthèse de Renaud Lebreton De Vannoise : pourquoi les parties optent pour la médiation ?
- L’accès au juge est toujours possible : dans certains cas, il peut y avoir une injonction pour les parties à rencontrer un médiateur pour obtenir une information. Être « forcé à la médiation » n’est pas une privation de l’accès au juge. Les médiés parties peuvent la refuser et revenir devant le juge ;
- La confidentialité : le juge ne sait pas ce qui est dit lors de la médiation et la confidentialité est un gage de confiance ;
- La formation et un agrément garantissant un certain niveau de compétences ;
- La spécialisation : le médiateur ne peut connaitre tous les champs d’intervention possibles. Il peut avoir quelques repères et travailler en co-médiation avec un médiateur ayant des connaissances techniques ;
II existe un débat autour de la prime à la réussite, prime qui peut devenir un obstacle à la réussite de la médiation.
Quelques recommandations principales pour promouvoir la médiation :
Former toute la chaine depuis les magistrats, jusqu’aux greffiers qui doivent comprendre les intérêts de la médiation ;
Impliquer les avocats et les former pour être le relais face au client de la médiation : « être convaincu pour convaincre » ;
La personne humaine ne sera jamais exclue du processus de médiation, car c’est le médiateur qui pose le cadre, l’intelligence artificielle pourra être une contribution ;
La médiation a une vertu de « purification sociale » ;
Avec la montée des conflits, surtout numériques, les litiges se multiplient.
Juges et avocats sont de plus en plus épuisés.
La solution se trouvent dans doute dans la médiation.
Marie Hélène BERGONI,
Médiatrice et Vice-présidente de MDPA.